vendredi 21 décembre 2018

Les Inassouvis : Une expérience à la frontière du réel et de nos rêves.


      Une lumière rougie, une ambiance tamisée, des bougies crépitantes, le théâtre Elizabeth Czerczuk est un lieu à part. Un lieu de l’imaginaire qui propose un renouveau de l’art vivant. Un art des merveilles qui lie le public aux artistes. Dans la création Les Inassouvis, Il n’y a pas de frontière, pas de quatrième mur. Les spectateurs, ou les « hôtes » comme les appelle Elizabeth Czerczuk, laissent vagabonder leurs esprits pour s’immerger dans ce voyage artistique qui ne les laissera pas indemne. 




Les Inassouvis est une création, un voyage philosophique et visuel, en trois actes qui émet une interprétation philologique à l’œuvre littéraire L’inassouvissement de Stanislaw Ignacy Witkiewicz. L’univers de ce théâtre radical puise sa genèse dans l’avant-garde artistique polonais des années 1950-1970. On y retrouve des personnages emplis de folie, sortis d’un hôpital psychiatrique, ou bien encore des militaires au pas saccadé, une religieuse envoutée. Ils sont imprégnés de maux mentaux récurrents en lien avec l’enfance, l’hystérie, la mort, la question de l’être, du devenir, d’un monde utopique. Les émotions sont fortes, on se pose des questions, sommes nous légitimes à nous introduire dans l’intimité de ces personnes à l’esprit abimé? Il ne s’agit que de personnages, que de rôles incarnés, mais l’immersion est si intense que le spectateur est entraîné dans ce vortex de la pensée. 

L’espace scénique est atypique, une partie est inclinée, les comédiens et comédiennes déambulent dessus en toute légèreté. Les spectateurs migrent à chaque acte, on assiste à un théâtre de la déambulation où tout espace est exploitable. La danse est omniprésente, et se place avec justesse dans cette grande question de l’Être. Qui sommes nous? Notre corps est-il notre pensée? Les entractes offrent une suite logique à la création, outre le bol de soupe et le verre de vin mis à notre disposition, l’histoire continue, avec pour fil rouge, la poésie. Un homme charismatique s’installe, aux côtés des spectateurs, et offre une récitation touchante de moult textes poétiques, passant de Jean de la Fontaine, ou encore à Pierre de Ronsard. La mesure du temps est inexistante, on se laisse submerger par notre remise en questions et par l’aspect visuel de cet instant hors du temps. D’un acte à l’autre, les costumes restent d’une richesse et d’une précision folle. Tout comme la création sonore qui sied à merveille l’univers. Des sons tourbillonnants, entêtants, qui s’introduisent en nous, nous en sommes habités. 

Rien n’est laissé au hasard par Elizabeth Czerczuk, la minutie est de mise pour permettre d’offrir à son public une expérience complète, tant dans l’aspect théâtral innovant et surprenant qu’elle offre que dans cette remise en question indétournable.

Les Inassouvis mis en scène par Elizabeth Czerczuk au Théâtre Elizabeth Czerczuk. 
PROLONGATION DU 19/01 AU 17/02 2019. 

20 rue Marsoulan 
75012 PARIS 

dimanche 9 décembre 2018

DANSE : Jerada : Un tourbillon d’ennui

         Jerada est la rencontre entre la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen et la compagnie nationale norvégienne de danse contemporaine Carte Blanche. Cette performance de danse s’est jouée sur l’immense plateau de la grande salle du Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. On en gardera des maux de crâne et un sentiment de lassitude très ancré dans nos mémoires. 




Tournez, tournez 


D’abord un, puis deux, puis trois, pour finir, ils sont quatorze. Quatorze danseurs et danseuses qui déambulent sur toute la scène effectuant des tourbillons de manière insatiable. C’est long, très long. Ce sont des tourbillons différents, certains vont vite, d’autres plus lentement. Le spectateur attend patiemment un changement, un retournement de situation, mais il pourra l’attendre longtemps. Ce petit détail qui aurait pu rendre le spectacle agréable n’arrivera jamais. Ce soir là, le spectateur devra se contenter de voir une performance cyclique où l’imaginaire est enfoui si loin qu’il est difficilement trouvable. On s’imagine quelques interprétations, sans grande conviction. Une représentation des hauts et des bas de la vie de chaque individu, qui se vêtissent de plusieurs guenilles, qui se heurtent, qui chantent, qui communiquent en tournant sur eux-même. On arrive à un simple et unique constat : ces tourbillons nous donnent le tournis, l’instant présent est désagréable, on a hâte que cela s’achève. 


Une chorégraphe autodidacte à la rencontre d’une compagnie professionnelle.

Lorsqu’on évoque les derviches tourneurs de l’ordre Mevlevi en comparaison aux mouvements des danseurs de la compagnie norvégienne, Bouchra Ouizguen indique qu’à aucun moment elle n’a souhaité faire de cette création une référence culturelle ou religieuse. Jerada est néanmoins une ville se situant au Nord Est du Maroc. En outre, la bande son de sa création est également une référence directe à ses origines, il s’agit de l’entrainante Dakka Marrakchia. Mais pour la chorégraphe, il s’agit d’une performance artistique, et rien d’autre. Son souhait était de pousser les corps dans leurs retranchements les plus profonds. Lors des premiers mois de répétitions, les danseurs de la compagnie norvégienne vomissaient à chaque session. Il a été difficile pour Bouchra Ouizguen de trouver un lien adéquat, une cohésion, avec eux. Ce qui expliquerait peut-être l’ennui dans lequel tombe le spectateur. La chorégraphe, d’origine marocaine, a pour habitude de travailler avec des danseuses marocaines qui n’ont pas de formation académique. L’institution lui a sûrement donné le tournis. Un tournis infini, une spirale infernale, qui nous laisse un goût amer d’inachevé. 

Jerada, par Bouchra Ouizguen, avec la compagnie Carte Blanche. 
Dans la grande salle du Centre Pompidou du 15 au 18 novembre 2018. Festival d’Automne à Paris.